Travaillez, avalez votre poison et taisez-vous

Au mépris du bon sens le plus élémentaire, une majorité de député·es à l’Assemblée nationale a refusé le jeudi 6 mars des mesures d’urgence destinées à atténuer le choc de l’inflation pour les plus modestes et des mesures sanitaires tout aussi urgentes précisément parce que l’inflation dégrade fortement l’alimentation des Français·es.

Ça va, vous avez fait le plein ? Le frigo est rempli ? Et ces vacances, pour bientôt ? Non ? Patrice Perrot, député de la 2e circonscription de la Nièvre, a pourtant l’air de le penser, et avec lui les députés macronistes et LR qui ont voté contre une proposition de loi d’EELV enrichie par LFI et le PCF (NUPES), visant “à mieux manger en soutenant les Français face à l’inflation et en favorisant l’accès à une alimentation saine”.

Nous ne mangerons pas mieux et rien n’est fait contre la hausse des prix devenue insupportable pour des millions de personnes. N’ayant pas non plus voté la hausse du Smic, ni la droite, ni RN, qui trouvent sans doute que nous avons bien assez, ils espèrent peut-être que, trop occupés à compter ses centimes, le Peuple n’aura pas la tête à protester. La détermination des manifestants contre la réforme des retraites, le même jour que ce vote, peut ruiner ces espoirs, d’autant que la date des prochaines manifestations, le jeudi 13, veille de l’avis du Conseil constitutionnel, va sans doute remobiliser.

Pancarte de manifestation, 6 avril 2023

Parce qu’enfin, comment peut-on décemment refuser de voter un texte pour répondre à l’urgence sociale quand les prix des aliments explosent  ? Une prime de 50 € par mois pour les plus modestes, rien d’extravagant, correspondant de surcroît au genre de mesures que le gouvernement a déjà pratiquées. L’énergie flambe  ? Prime  ! L’alimentation flambe  ? Rien. Pour cette somme ridicule refusée, les dépenses de santé seront bien plus importantes.

Quand on est à 50 € près, il faut bien se résoudre à acheter de la nourriture moins chère que ce qu’elle devrait, de plus mauvaise qualité. Pleine de sucre qui augmente le diabète, pleine de gras qui augmente les pathologies cardiovasculaires, pleines d’additifs et de conservateurs qui font plus blanc que blanc ou plus rose que rose, cancérogènes comme les nitrites du jambon qu’on sert aux enfants…

Comme ça tombe…

Il était aussi proposé aujourd’hui d’interdiction des nitrites. Devinez quoi  ? Refusé. Depuis des années, des scientifiques, des médecins, jusqu’à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) disent que les nitrites sont un poison. Mais non. On n’interdit toujours pas. Il faut préserver les intérêts de l’industrie agroalimentaire et son système concentrationnaire de cochons (exportés jusqu’en Chine, madame, monsieur, en ravageant au passage les eaux bretonnes) pour fabriquer en masse des lardons qui réduisent de moitié quand on les cuit et du jambon très rose pour attirer les enfants.

Bien sûr, on peut se passer de nitrites. Des artisans font cela très bien. Les fabricants industriels de charcuterie rose Barbie sous plastic, obligés de financer moult publicités pour faire oublier que dans leurs tranches, il a beaucoup d’eau et pas beaucoup de goût en dehors du sel, ne savent pas faire sans, ou alors avec moins de profits. Grâce aux députés qui ont voté contre une mesure sanitaire de bon sens, ils vont donc pouvoir, au prix de la santé des gens, continuer à vendre ce qu’ils appellent “jambon” moins cher, pendant que des éleveurs respectueux des animaux et des artisans en capacité, eux, de préserver notre santé rament, les uns pour obtenir un prix de vente correct, les autres pour alimenter leur frigos en électricité.

NITRITES  : DEMAIN SERA TOUJOURS DEMAIN
En juillet 2022, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a fini par confirmer le lien entre les nitrites présents dans les charcuteries et le cancer, sept ans ( !) après l’avis du Centre international de recherche sur le cancer, rattaché à l’OMS, déjà cité par le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur ce sujet en juillet 2021.
Le 27 mars 2023, le gouvernement a fini par annoncer ce qu’il appelle un “plan d’action” pour lutter contre les nitrites. Il est demandé aux industriels de réduire de 20 à 25  % les teneurs maximales et pas tout de suite pour tout le monde.
Vous serez empoisonné, mais un peu moins et vous en prendrez encore pour cinq ans au moins, parce qu’il faut, disent ces messieurs, laisser à la recherche le temps de réussir à parvenir à trouver “des solutions de diminution et de suppression de l’utilisation de nitrites”.
Dès qu’il s’agit de s’attaquer à la chimie agroalimentaire, comme avec le glyphosate, les néonicotinoïdes ou les nitrites, la macronie freine des quatre fers. Nous en sommes à huit ans de cancers en plus, sans compter les dizaines pendant lesquelles il a été ri au nez de scientifiques et d’écologistes qui alertaient sur la question. Le livre de Fabrice Nicolino, Bidoche – L’industrie de la viande menace le monde, a été publié en 2009.

Négocier les prix  ? Les bloquer  ? Vous n’y pensez pas  !

Une autre mesure, provenant d’un amendement d’Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES) a été balayée. Rien de nouveau pourtant aussi et du recul pour juger de son efficacité  : elle est pratiquée dans les Outre-Mer depuis 2012. C’est le bouclier qualité-prix. Le principe est simple et a été adopté alors que les prix pratiqués en Martinique et en Guadeloupe, par exemple, étaient devenus insupportables pour la population, comme c’est le cas aujourd’hui partout.

Comment ça marche  ? Tous les ans, après des négociations entre les producteurs, les fournisseurs et un représentant de l’État, basées sur l’avis émis par un observatoire indépendant, un arrêté préfectoral fixe les prix d’une liste de produits de consommation courante. Ce système a permis d’ajuster les prix d’une centaine de produits au plus près des besoins locaux et les a même modérés  : la plupart des magasins proposent des prix inférieurs à ceux fixés par l’arrêté.

Donc, ça marche. D’ailleurs, comme l’amendement de Sébastien Jumel, député PCF (NUPES), qui instaurait un “panier inflation” avec des prix inférieurs à l’inflation, dans un éclair de lucidité, ce système avait été adopté le matin. L’après-midi, revirement, en prétextant des mesures promises depuis deux ans, comme le fameux chèque alimentaire, bien sûr toujours pas mises œuvre.

QUELQUES EXEMPLES D’AUGMENTATIONS DES PRIX EN FRANCE HEXAGONALE
Depuis l’année dernière, l’huile de tournesol augmenté de 81,98 % ; le sucre en poudre, 81,82 % ; le riz basmati, 46 % ; le beurre, 29,13 % ; les yaourts nature, 27,89 % ; la farine, 26,92 % ; les steaks hachés, 23,83 % ; les œufs bio, 20,29 %… et le jambon blanc supérieur, 13,06 % (source : journal Le Monde, édition du 6 avril).

Il aura donc suffi de 17 voix d’écart à l’Assemblée nationale pour que finalement, tout le texte soit rejeté et que grossisse encore le nombre de celles et ceux contraints de choisir entre se déplacer et manger, pour qui le.repas du dimanche est semblable à ceux de la semaine, sans extras, et les sorties, sans parler de vacances, un souvenir d’avant Covid pour les uns, d’avant la protestation des Gilets jaunes pour d’autres, s’ajoutant aux millions de personnes laissées sur le carreau par paquets depuis que le marché à tout prix est devenu le dogme de l’Union européenne.