La foule, le Peuple et le mépris

Hier, vous n'étiez qu'une foule. Vous êtes un Peuple aujourd'hui.

La veille de l’intervention d’Emmanuel Macron à la télévision, nous étions prévenus. Quelle que soit la force de la mobilisation dans les manifestations, pour lui, “la foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au Peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus”. En une phrase, voilà nié ce qui a initié notre République. C’est bien la foule qui s’est constituée en Peuple souverain.

Vu le tollé provoqué par ses propos, Emmanuel Macron a tenté une autre tactique lors de son interview au journal de 13h. Après tout, les gens ne seraient pas si nombreux dans les rues. On aurait vu pire  : “Ces contestations, je veux rappeler qu’à chaque réforme des retraites, nous les avons, et parfois en nombres bien supérieurs”. Plus c’est gros, plus ça passe  ? Raté. Aucune manifestation contre une réforme des retraites (et il y en a eu  !) n’a rassemblé autant de monde dans toute l’histoire de la Ve République1.

M. Macron pouvait bien parler de démocratie dès l’ouverture de son interview (au journal de 13h, massivement suivi par celles et ceux qui ont déjà pris leur retraite), en affirmant que “le texte va poursuivre son cheminement démocratique”. Pardon de rappeler cette évidence, mais le mot démocratie vient du grec demos (le Peuple) et kratos (le pouvoir). Voilà donc une démocratie sans Peuple et sans vote, puisque la réforme des retraites n’a pas été votée, mais imposée sous la menace de l’article 49.3, après une procédure similaire du Sénat et un débat amputé.

La foule qui défile depuis deux mois et demi dans les rues de France, confortée par toutes les études d’opinion, est sans aucun doute bien plus représentative du Peuple français que M. Macron, au point qu’on peut se poser la question suivante : lui qui a été élu avec une abstention massive, lui qui ne doit sa victoire qu’au rejet de Mme Le Pen, comme beaucoup des députés qui le soutiennent, lui qui nie les fondements de la République, lui qui choisit de s’entêter à condamner les citoyennes et les citoyens à deux ans de travail en plus, parle à une heure où elles et ils ne peuvent l’écouter, lui dont la police arrête arbitrairement des centaines de personnes, les traque dans les rues avec des chiens, distribue des coups de poing et de matraque au hasard, lui dont le ministre de la Justice fait un bras d’honneur aux députés dans l’Hémicycle, de quoi donc est-il le Président ?

1. Le 7 mars, il y avait entre 1,28 million de manifestants, selon le ministère de l’Intérieur, et 3,5 millions selon la CGT. En 2010, les chiffres du gouvernement pour la manifestation du 12 octobre étaient de 1,23 millions de personnes et 3,5 millions pour les syndicats. En 2003 et en 1995, c’était entre un million et deux millions.