Depuis quelques années, les méthodes cruelles de certains abattoirs sont dénoncées, mais rarement est posée la question de l’industrialisation de l’agriculture à cette étape-là aussi. Pourtant, la concentration de l’activité d’abattage est aussi cruelle que les élevages concentrationnaires et plongent autant les paysans dans la misère quand ils ne peuvent ou ne veulent suivre ce “modèle”. Dans cette tribune publiée dans l’Humanité, que nos reproduisons, onze député·es insoumis·es élu·es dans des circonscriptions rurales réclament le retour des abattoirs de proximité, jusqu’à la ferme, la réorientation systématique des aides dans leur direction et la création d’un réel service public de l’abattage.
« On ne veut pas que les animaux fassent de longs trajets, qu’ils soient entassés en pleine chaleur pendant 24 heures, dans un environnement inconnu et avec des cadences infernales. » « Ce qui est incroyable c’est qu’on a une densité forte d’éleveurs et éleveuses sur le territoire, mais il faut faire 1h30 de trajet pour faire abattre nos animaux. » « Si on veut continuer de développer la dynamique des circuits courts sur le territoire, avoir un outil comme un abattoir de proximité est indispensable. »
La sincérité et la diversité de ces témoignages, représentatifs d’un sentiment largement partagé par les éleveurs français, nous obligent à faire le constat que les solutions d’abattage proposées sur notre territoire ne sont pas à la hauteur des enjeux humains, économiques et sociaux mais aussi des nouvelles exigences de respect des animaux auxquels est confrontée la filière élevage. La France comptait 400 abattoirs en 2003, 286 en 2010 et seulement 241 en 2021. La consommation de viande étant relativement stable sur la période (- 3 %), cette chute considérable du nombre d’abattoir (- 40 %) va de pair avec une concentration de la production dans des unités de plus en plus industrielles et déshumanisées. Cette évolution répond uniquement à une logique de marché, la rentabilité maximale passant par toujours plus d’économies d’échelle, et elle ne sert en rien l’intérêt général ou l’amélioration de la condition animale.
Au contraire, de nombreux éleveurs se retrouvent aujourd’hui dans l’impossibilité de faire abattre leurs bêtes localement ou de leurs garantir des conditions de transport acceptables. Ainsi la concentration des solutions d’abattage a des répercutions à tous les échelons de la filière élevage et viande. En amont, cela conduit inexorablement à la disparition d’un tissu d’élevages familiaux au profit de fermes usines seules capables d’alimenter cette « chaîne industrielle ». En aval, cela renforce la mainmise des géants de l’agro-industrie et de la grande distribution sur les circuits de commercialisation de la viande.
Captation des marges, destruction des circuits locaux de distribution, perte d’emplois agricoles, disparition des paysans éleveurs et des fermes en polyculture-élevage, désertification des zones rurales : les effets de cette industrialisation à marche forcée de la filière sont innombrables et dramatiques. La loi EGALIM du 30 octobre 2018 avait l’ambition « d’encourager l’émergence d’un réseau structuré des abattoirs, incluant les abattoirs de proximité » et elle permettait l’expérimentation d’abattoirs mobiles. Cinq ans ont passé et la situation s’est empirée. La « stratégie abattoirs » présentée en juillet 2023 par le ministre de l’Agriculture n’y changera rien.
Les mesures proposées serviront, au mieux, à valider le diagnostic mais elles ne permettront pas de lutter efficacement contre le déclin structurel des abattoirs de proximité. L’urgence est de soutenir les abattoirs existants puis de planifier une redensification du maillage des abattoirs sur le territoire français, au plus près des éleveurs et de leurs bêtes. Pour cela il est nécessaire que l’État et les collectivités territoriales s’engagent plus fortement en instituant un vrai service public de l’abattage. Cet engagement, auprès des abattoirs en difficulté ou des projets d’installation, doit être avant tout financier mais il doit aussi prendre la forme d’un accompagnement administratif, technique et humain. Toutes les initiatives et particulièrement celles émanant des éleveurs eux-mêmes doivent être encouragées. Les aides à la filière industrielle doivent être inventoriées et réorientées systématiquement vers les abattoirs de proximité. Des normes sanitaires exigeantes sont nécessaires, seulement celles-ci doivent pouvoir être adaptées aux établissements à taille humaine.
“Encourager le développement d’alternatives permettant l’abattage des animaux à la ferme”
En complément de ces mesures visant à redéployer les abattoirs de proximité, il est nécessaire d’encourager le développement d’alternatives permettant l’abattage des animaux à la ferme. Les abattoirs mobiles ou semi-mobiles pouvant se déplacer dans les fermes ou vers des points de rassemblement constituent une première alternative intéressante, notamment pour les territoires très ruraux et loin des axes routiers.
L’expérimentation de dispositifs d’abattoirs menée dans le cadre de la loi EGALIM doit être prolongée et ses modalités d’application revues en concertation avec les éleveurs. Une deuxième alternative consisterait à intégrer des caissons mobiles et des camions d’abattage dans le fonctionnement des abattoirs. Cette solution, indissociable et subordonnée au redéploiement des abattoirs de proximité, qui offre l’avantage d’être plus souple que les abattoirs mobiles est déjà largement pratiquée dans plusieurs pays européens. La relocalisation de la production et la recherche de l’autonomie alimentaire s’impose aujourd’hui à nos sociétés pour des raisons écologiques, sociales, économiques et géopolitiques.
Dans ce contexte, laisser le marché imposer ses règles et assister passivement à la disparition des abattoirs de proximité et des filières locales d’élevage qui en dépendent est une faute politique grave. Garantes de notre autonomie alimentaire, ces filières sont, en plus, plébiscitées par les consommateurs, et elles permettent aux éleveurs d’améliorer leur rémunération en se réappropriant les marges commerciales accaparées par l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution.
Le sujet de la juste rémunération des éleveurs est en effet le point central de nos réflexions sur la filière élevage et viande et les abattoirs de proximité constituent une des conditions essentielles pour atteindre cet objectif. Plus largement, le redéploiement des abattoirs de proximité et le développement des alternatives d’abattage sont nécessaires à la transformation de notre modèle agricole pour le rendre plus soutenable, résilient et attractif. Leur développement va dans le sens d’un élevage paysan, à échelle humaine, respectueux de l’environnement et du rythme des animaux face à des pratiques d’élevage industrielles polluantes qui fragilisent la biodiversité et les écosystèmes, et pour lesquelles seule la cadence d’abattage compte.
Signataires : Loïc Prud’homme, député LFI de la 3ème circonscription de la Gironde, Mathilde Hignet, députée LFI de la 4ème circonscription d’Ille-et-Vilaine, Sylvain Carrière, député LFI de la 8ème circonscription de l’Hérault, Manon Meunier, députée LFI de la 3ème circonscription de la Haute-Vienne, Michel Sala, député LFI de la 5ème circonscription du Gard, Catherine Couturier, députée LFI de la 1ère circonscription de la Creuse, Léo Walter, député LFI de la 2ème circonscription des Alpes-de-Haute-Provence, Murielle Lepvraud, députée LFI de la 4ème circonscription des Côtes-d’Armor, Charlotte Leduc, députée LFI de la 3ème circonscription de la Moselle, Pascale Martin, députée LFI de la 1ère circonscription de la Dordogne et Damien Maudet, député LFI de la 1ère circonscription de la Haute-Vienne.