Une de ces start-up chères à Emmanuel Macron propose, dans ce qui est devenu le marché lucratif de la santé, un service permettant d’avoir un deuxième avis médical dans un vaste éventail de maladies. La présentation du service est très alléchante avec la proposition d’accéder en moins de 7 jours à un avis d’experts « connus, reconnus internationalement, qui font de la recherche, publient et qui exercent dans la pathologie pour laquelle ils se déclarent référents ». Pour une rémunération de 120 euros, le médecin ne voit pas le patient mais réalise une « expertise » du dossier médical du patient. L’astuce de l’entreprise est d’avoir proposé ce service aux assureurs (complémentaire santé et institutions de prévoyance) qui incluent ce service dans la liste de leurs prestations.
Ainsi la première page du site deuxiemeavis.fr vous invite à compléter une série de questions pour savoir si vous êtes couvert. Dans le cas contraire, vous pouvez accéder à la prestation en réglant directement la somme de 120 euros. Les assurances qui ont contracté avec cette société ne paient pas à l’acte mais versent un montant annuel en fonction du nombre de personnes qu’elles protègent, ce qui permet ainsi vraisemblablement de dégager un généreux bénéfices pour les actionnaires de la société dirigée par une diplômée de HEC qui travaillait auparavant chez la compagnie d’ascenseurs OTIS, avant de créer un site internet de listes de mariage et de cadeaux.
Au premier abord, ce service peut apparaître intéressant pour les patients qui ont de plus en plus de difficultés pour avoir accès à un spécialiste afin d’avoir un avis qualifié, spécialistes qui par ailleurs sont de plus en plus nombreux à demander des dépassements d’honoraires non couverts en totalité par les complémentaires santé.
Le patient assuré social paye deux fois un service qui lui est normalement dû
Il s’agit d’une dérive très dangereuse qui est en contradiction totale avec ce qui est appelé le parcours de soins pour l’organisation duquel les médecins reçoivent aujourd’hui une rémunération forfaitaire par l’assurance maladie. Ce qui devrait être le fonctionnement normal dans notre système de santé devient un service payant au grand bénéfice des très nombreuses entreprises qui s’engouffrent dans ce marché. Il faut souligner par ailleurs que le patient assuré social paye ainsi deux fois un service qui lui est normalement dû : il cotise à l’assurance maladie et il paye une complémentaire. Complémentaire dont les tarifs augmentent depuis plusieurs années bien au-delà de l’inflation du fait du transfert régulier de prestations qui ne sont plus prises en charge par l’assurance maladie et pour financer cette offre de deuxième avis.
Ce type de service participe à ce qu’on appelle la « financiarisation du système de santé » au plus grand profit d’investisseurs recherchant une rentabilité maximale. Il s’agit typiquement de ce qui existe dans certains pays comme les États-Unis avec pour conséquence une exclusion d’une partie de plus importante de la population d’un accès à des soins adaptés, ce qui se traduit par une aggravation des inégalités de santé avec une mortalité précoce pour les plus défavorisés.
Des centres d’examens de santé de la Sécurité sociale trop peu nombreux et un check-up à 3600 €
Après la prestation dite de deuxième avis une nouvelle offre est proposée par des médecins qui sont visiblement plus intéressés par la médecine business que par la réponse aux besoins de santé de l’ensemble de la population pour laquelle ils ont bénéficié d’une formation payée par l’État. Il s’agit cette fois de la société Zoï qui propose un bilan de santé appelé check–up (cela fait plus sérieux !), pour la modeste somme de 3 600 euros.
Parmi les premiers clients sont cités des hommes d’affaires comme Xavier Niel ou encore Stéphane Bancel, patron du laboratoire pharmaceutique Moderna qui s’est enrichi grâce au vaccin contre la COVID. Leur objectif annoncé est, grâce à la prévention, d’améliorer son espérance de vie en bonne santé. Du fait d’une organisation de la médecine libérale rendant l’organisation de ce type de bilan de santé compliqué car faisant intervenir de multiples professionnels dont la coordination est aléatoire, ils proposent un service regroupé sur deux heures dans un lieu unique.
Cette nouvelle offre commerciale pose plusieurs questions. D’une part le contenu des examens dont certains relèvent encore de la recherche, comme l’analyse de biomarqueurs qui seraient censés prédisposer à certaines maladies, afin de proposer ensuite, via une application mobile, des recommandations personnalisées de prise de médicaments, des conseils de nutrition, sportifs, etc. D’autre part, elle n’est pas prise en charge par la sécurité sociale.
Plus fondamentalement, le problème principal est que les dysfonctionnements de notre système de santé poussent à l’émergence de ce type de service. En effet, le suivi médical d’un patient doit normalement être assuré par son médecin traitant qui bénéficie pour cela d’une rémunération forfaitaire par l’assurance maladie. Mais encore faut-il avoir un médecin traitant et que celui-ci prenne le temps de s’occuper d’un suivi adapté, incluant des examens de prévention, ce qui dans le cadre de la rémunération à l’acte est quasiment impossible. Le plus grave est que cette mission de bilan de santé est normalement assurée par les centres d’examens de santé de la sécurité sociale. Mais ils sont aujourd’hui trop peu nombreux et ne bénéficient pas du matériel moderne adapté permettant la réalisation d’examens ciblés personnalisés.
Face à ces dérives de la médecine se transformant en service marchand, il est indispensable de modifier le mode d’exercice et de rémunération des médecins pour qu’ils puissent assurer un suivi global de leurs patients, intégrant la prévention. Pour cela la solution est bien celle qui devient de plus en plus incontournable, à savoir la fin de l’exercice libéral isolé associé à une rémunération à l’acte. Seul un exercice collectif avec des professionnels salariés, dans des centres de santé bénéficiant d’un équipement moderne financé par la sécurité sociale permettrait de répondre à l’évolution nécessaire vers une médecine préventive dont l’objectif est de maintenir dans le meilleur état de santé possible le plus longtemps possible l’ensemble de la population.