Non, ce n’est pas une mauvaise blague : l’Assemblée nationale a adopté le 25 janvier, au détour d’une loi sur la limitation de l’engrillagement des espaces naturels (ce qui est bonne chose), un article qui interdit désormais d’entrer dans une forêt ou un espace rural privés sous peine d’une amende de 135 €. Ce sont donc les trois-quarts de la forêt française qui sont interdits aux promeneurs et aux bénévoles des associations de protection de la nature.
La multiplication des clôtures dans les espaces naturels par des propriétaires privés, souvent pour y confiner les animaux pour les chasseurs, est l’une des causes de la chute dramatique de la biodiversité. Une loi pour limiter les entraves à la circulation de la faune sauvage était donc attendue par de nombreux défenseurs de la nature, à commencer par les associations de protection de l’environnement. La satisfaction a été de courte durée. Le texte ne vise pas seulement « à limiter l’engrillagement des espaces naturels ». Aux termes de son article 2, pour « protéger la propriété privée », il introduit dans le Code pénal une nouvelle infraction : « pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui, sauf les cas où la loi le permet, constitue une contravention de la 4e classe », soit aujourd’hui 135 € d’amende.
.La lecture de la proposition de loi initiale de Jean-Noël Cardoux, sénateur (LR) du Loiret, ne laisse aucun doute sur ses intentions : il souhaitait que la contravention soit de 5e classe, soit 1 500 € ! Concrètement, cela veut dire que se promener dans une forêt privée (ce qui le plus souvent n’est pas indiqué), traverser un pré pour faire des observations sur la flore et la faune sauvage ou tout simplement se promener est désormais interdit. Les seuls humains autorisés à circuler seront les chasseurs. Dans certaines régions, comme le Morvan, où la part de la forêt privée est de 85 %, il devient tout simplement impossible de circuler dans la nature sans se mettre dans l’illégalité.
Comme l’a rappelé Manon Meunier, députée LFI, qui a dénoncé cette mesure lors de l’explication du vote de son groupe à l’Assemblée nationale, « s’il est aujourd’hui possible d’avoir accès à la répartition des espèces animales et végétales de notre pays, c’est parce que ces bénévoles et ces associations jouent depuis des dizaines d’années un rôle essentiel de recensement des espèces sauvages. Ce sont ces naturalistes passionnés qui vont sur le terrain, savent déterminer la présence d’un oiseau au chant, reconnaître un mammifère à son empreinte, identifier la ponte d’une libellule dans une écorce d’arbre… Ce sont eux qui sont à l’origine des atlas régionaux de répartition des espèces. Ce sont eux qui observent le déclin de notre biodiversité, qui alertent sur les dommages causés à l’environnement ».
Après un premier quinquennat qui a amputé les services publics de l’Écologie de nombre de ses effectifs (à l’ONF, dans les parcs naturels et jusqu’au ministère), après la COP15, où la France s’est distinguée par son acharnement à empêcher la protection des milieux marins, après un budget de l’État pour 2023 qui n’a alloué que la somme ridicule de 300 millions d’euros d’investissement pour la biodiversité, après la tentative (heureusement avortée) de réintroduire les néonicotinoïdes responsables de la disparition des insectes pollinisateurs, la macronie, avec l’aide de la droite, du RN, mais aussi du Parti socialiste, prive le pays du travail essentiel et bénévole de milliers de Français·es pour protéger la nature. Les groupes de France insoumise et EELV (les députés PC étaient absents), tiraillés entre l’urgence de restituer à la faune sauvage sa liberté de circulation et la dénonciation de cette mesure liberticide pour les humains, se sont abstenus.
Vue la disparition des services publics en milieu rural (c’est quand, le dernière fois que vous avez croisé un garde-champêtre ?), on pourrait se dire : de toutes façons, cette loi sera inapplicable, impossible de poster un agent derrière chaque promeneur. C’est vrai. Il y a donc fort à craindre qu’elle ne sera utilisée que pour mettre à l’amende les membres d’associations ou de collectifs qui dénoncent les destructions de la nature, par exemple les coupes rases…