Reculer pour mieux sauter ?

Ce serait tellement mieux de laisser Éric Zemmour à sa place : dans le néant. Il se trouve malheureusement que, jusqu’en Morvan, des citoyen·nes croient à ses dangereuses élucubrations au point de voter pour lui et ses représentant·es, comme lors de l’élection municipale partielle qui s’est tenue le 28 mai à Vandennesse. La candidate zemmouriste aux élections législatives y a été élue conseillère municipale, et un autre sur sa liste. Si une liste citoyen·ne ne l’avait contrée, ce sont quatre représentant·tes de Zemmour qui risquaient d’être élu·es.

Comment a-t-on pu en arriver là, supporter qu’une partie du Peuple français soit représentée par les adeptes d’une idéologie qui, partout où elle a été mise en pratique, a plongé les pays dans l’horreur  ? Dans le flot des médias qui lui servent de tribune, les horreurs que Zemmour glisse passent d’autant mieux que, malheureusement, du fait de la complaisance de la plupart de ses interlocuteurs, il est rarement contredit. La paupérisation organisée de l’instruction publique, qui réduit à peau de chagrin l’enseignement de l’histoire, aide à faire avaler le mensonge.

La génération qui a connu la réalité du régime institué par Philippe Pétain s’éteint. Qui aurait osé, il y a quelques années encore, laisser répéter en boucle à la télévision que Pétain a sauvé des Juifs, quand devant le poste se trouvaient des personnes revenues des camps  ? Que ce soit donc au moins rappelé ici  : le régime de Vichy a mis fin à la République le 10 juillet 1940 par le vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain, lequel a collaboré activement, avec tous les moyens de l’État, avec l’Allemagne nationale-socialiste. Pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’ils ont provoquée et qui a fait 80 millions de morts, les nazis ont tué un million et demi d’enfants. Ils ont acheminé des milliers de trains remplis à craquer de gens qui ont été torturés, réduits en esclavage et en cobayes d’expériences infâmes, affamés, gazés, envoyé dans des fours. Il y a dans toutes les communes de France des monuments aux morts qui égrènent la liste interminable des victimes du nazisme. Le pays a été pillé, sa population réduite en esclavage pour les uns avec le STO, à la faim, à la misère et au silence pour les autres, à l’exception d’une petite caste répondant à des critères physiques ou les compensant par une servilité totale. Voilà à quoi, entre autres, Philippe Pétain a collaboré. Voilà pourquoi il est frappé d’indignité nationale. Voilà pourquoi il est répugnant de tenter de minimiser sa culpabilité.

Éric Zemmour est heureusement renvoyé par la Cour de cassation devant les tribunaux pour contestation de crime contre l’humanité, mais ce repris de justice (déjà condamné notamment pour provocation à la haine et à la violence) bénéficie de tribunes permanentes. Il est invité sur CNEWS et ses propos sont repris partout. La haine se répand. La seule façon d’endiguer l’empoisonnement diffusé par les écrans nationaux est de rappeler, à chaque fois qu’ils se montrent localement, ce que représentent les soutiens de Zemmour, ce à quoi l’idéologie nauséabonde d’extrême-droite conduit. Dans les temps de malheur collectif, la tentation est grande de regarder avec nostalgie le régime précédent et d’accepter des solutions simplistes définitives.

Or, nous commençons à vivre un malheur collectif, à l’échelle mondiale, qui, à moins d’un immense sursaut, fera bien plus de victimes que la Seconde Guerre mondiale. Nous voyons l’enfer qui nous attend avec le réchauffement climatique. Les morts à cause des canicules, des pays en flammes, des restrictions d’eau puis des inondations ne sont que le début. C’est une certitude. Nous savons aussi qui en est responsable  : celles et ceux qui dirigent le système capitaliste, soutiennent les industries pétrochimiques avec l’argent public et nous obligent à y collaborer. Leur porte-parole actuel, en France, est à l’Élysée. Les institutions de la 5e République et le déni collectif ont permis cela.

À Vandenesse, quelques jours avant l’élection a été projeté un film sur le massacre de Dun-les-Places pendant l’occupation nazie, présenté grâce au musée de la Résistance de Saint-Brisson. Cette soirée était organisée par la liste citoyenne sur laquelle on a pu noter la présence d’un membre de la France insoumise, Marc Tulane. Si des militant.es de ce mouvement étaient présents en nombre à cette soirée, les partis se réclamant du “barrage” à l’extrême-droite ont brillé par leur absence. Ledit barrage ayant consisté à appeler à voter pour un candidat de Macron aux législatives dans la circonscription où se trouve Vandenesse, on pouvait déjà douter de son efficacité. Macron ne mène pas seulement une politique climaticide et inégalitaire. Il dit aussi du bien de Pétain, qualifié de “grand soldat” pour sa participation à la boucherie précédente, celle de la Première Guerre mondiale. Les outrances de Zemmour ont permis cela.

L’élection de Vandenesse a offert une tribune locale à l’extrême-droite, mais ce sont deux élections nationales qui se présentent  : les sénatoriales, le 24 septembre, et les européennes, en 2024. Reste à savoir si le sursaut commencera avec le refus de soutenir autant les responsables de la catastrophe qui s’abat que ses faire-valoir.