Se soigner, se chauffer, manger, se déplacer, partir en vacances… Pendant que des fortunes immenses, alimentées par une injustice fiscale institutionnalisée, s’accumulent jusqu’à atteindre des sommets vertigineux, ces activités, pourtant normales, deviennent inaccessibles pour une grande partie de la population française, et vivre à la campagne aggrave la situation, selon le baromètre 2024 de la pauvreté du Secours populaire.
Le baromètre du Secours populaire, établi à partir de déclarations de sondés, n’est pas une statistique, mais elle donne une indication de l’état de pauvreté de la population française et de son évolution : en 2024, 62 % des Français déclarent avoir connu la pauvreté ou avoir été sur le point de la connaître. C’est 4 points de plus qu’en 2023 et les ruraux sont bien plus frappés que les habitant·es des centre-ville.
Une augmentation des inégalités à ce point, ce n’est pas un phénomène mondial. En 2022, rappelle Attac, “la France est entrée dans le top 3 du classement du nombre de millionnaires, alors même que le nombre de millionnaires diminue dans le reste du monde. La concentration du patrimoine aux mains des plus riches s’accélère tandis que les superprofits des multinationales explosent et que les dividendes versés par les grands groupes atteignent de nouveaux records”.
Il ne s’agit pas ici de considérer que la ruralité seraient une entité particulière du point de vue social. La faim, le froid, la maladie qu’on ne peut soigner ne sont pas différents suivant qu’on habite à la campagne ou au milieu du béton. Le scandale de la pauvreté, dans un pays aussi riche que la France, est le résultat de politiques qui sabordent les services publics et permettent aux classes les plus privilégiées d’échapper à l’impôt. Or, quand on est riche, on habite rarement à la campagne, on y a son manoir.
Quand on boucle difficilement les fins de mois (voire pas du tout), n’importe quelle démarche devient un casse-tête. Pour celles et ceux qui habitent toute l’année hors des métropoles, les politiques inégalitaires produisent des effets dévastateurs en raison des distances à parcourir. Voici quelques exemples issus du baromètre du Secours populaire :
57 % des ruraux peinent à partir en vacances au moins une fois par an. C’est 9 points au-dessus que l’ensemble de la population.
40 % des répondant·es vivant hors des métropoles ont de grandes difficultés à disposer d’équipements numériques en état de fonctionnement. C’est 7 points de plus que l’ensemble des Français·es. Cette privation les marginalise puisque l’accès aux services, et même aux services publics, a massivement migré sur Internet, rendant plus aléatoire la possibilité de faire valoir ses droits.
36 % des habitant·es des espaces ruraux peinent à prendre soin de leur apparence physique, faute de moyens. C’est un niveau supérieur à la moyenne des personnes interrogées (31 %).
44 % des ruraux jugent difficile l’accès aux services de santé. C’est encore au dessus de la moyenne nationale, puisqu’un Français sur trois (34 %) juge difficile l’accès aux services de santé autour de chez lui. Dans la Nièvre, 42 000 personnes n’ont pas de médecin traitant…
59 % des ruraux estiment que l’accès aux transports en commun est difficile, parce qu’ils sont trop éloignés ou trop irréguliers. C’est 18 points de plus que pour les réponses de l’ensemble des Français·es ! En Morvan, n’importe quel sondage porterait sans doute ce chiffre près des 100 % : il n’y a aucun transport en commun quand on habite un village, à l’exception de transports à la demande, au mieux deux fois par semaine et à des horaires contraints. Essayez juste pour voir, d’aller à un rendez-vous à Pôle Emploi à Château-Chinon sans voiture… Le drame est là en effet : être pauvre à la campagne, c’est subir la double peine de la précarité et de l’assignation à la pauvreté.