Et si, enfin, les coupes rases qui rongent la forêt étaient stoppées ? Si les monocultures industrielles de résineux étaient reléguées aux archives ? Si les forêts étaient reconnues comme des biens communs puisque l’eau et l’air qu’elles procurent (entre autres) sont vitaux pour tout le monde ? Si l’intérêt général passait avant les intérêts de particuliers, d’entreprises et de financiers ? Avec la proposition de loi Couturier, transpartisane, les député·es pourraient prochainement choisir de faire un premier pas dans cette direction.
Photo : Coupe à blanc, © MAB
Le 5 février, le Conseil d’État a rejeté une requête du Parc naturel régional (PNR) du Morvan, qui voulait, à l’occasion du renouvellement de sa charte, limiter les coupes rases en forêt en abaissant leur seuil d’autorisation à 0,5 hectares sur son territoire. Cette charte, selon le Code de l’Environnement, conditionne l’existence du PNR, donc des moyens qui lui sont alloués, et doit être validée par décret. Le Conseil d’État a tranché : une telle mesure serait illégale puisque la directive européenne invoquée par le PNR ne concerne pas les travaux forestiers, mais « uniquement les opérations réalisées en vue de conférer aux sols concernés un nouvel usage » et que rien dans la loi ne prévoit un tel encadrement des coupes rases.
C’est donc bien la loi qu’il faut changer. Cela ne faisait pas de doute pour beaucoup de militants pour les forêts, mais cette décision du Conseil d’État a le mérite d’intervenir au moment où une proposition de loi encadrant (entre autres) les coupes rases attend justement d’être mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Porté par la députée insoumise de la Creuse Catherine Couturier, le texte est cosigné par des parlementaires issus de suffisamment de groupes pour être qualifié de transpartisan. Elle a aussi le mérite de clarifier les pouvoirs des différentes institutions. Beaucoup de citoyen·nes du Morvan se tournent en effet vers “le Parc” quand il s’agit de protection de l’environnement, mais ils ne savent pas qu’en la matière, un PNR n’a absolument aucun pouvoir.
Forêt : que peut faire un PNR ?
Pour que les forêts soient mieux gérées, par exemple à couvert continu, sans coupe rase, etc., voire qu’on les laisse se gérer toutes seules (après tout, elles s’en sont très bien chargées pendant des centaines de milliers d’années), un Parc naturel régional (PNR) peut communiquer, inciter, soutenir. La charte, document qui “constitue le projet du parc naturel régional”, selon l’article 333-1 du Code de l’Environnement, ne peut imposer ni interdire quoi que ce soit, puisqu’un PNR n’a ni pouvoir réglementaire, ni pouvoir de police.
C’est un syndicat mixte, un établissement public de coopération locale où des collectivités de différentes natures mettent des moyens en commun.
C’est la loi qui définit la politique forestière (et peut, par conséquent, encadrer les coupes rases). Même si l’Union européenne “a établi une stratégie européenne pour les forêts et soutient de nombreuses actions qui ont des incidences importantes sur les forêts de l’Union et des pays tiers”, elle “ne dispose pas de politique forestière commune. La gestion des forêts demeure donc avant tout une compétence nationale”.
Les institutions régionales déclinent la politique forestière nationale. Il se trouve que le président du PNR du Morvan est aussi conseiller régional en charge de la forêt, avec un budget de 3,4M €/an sur les fonds propres de la Région et le FEADER 2023-2027 qui prévoit 1,8M €/an d’investissement. Dommage que son action au Conseil régional ne soit pas plus médiatisée. Les citoyens pourraient avoir leur mot à dire puisque les conseillers régionaux sont élus au suffrage direct.
Déposée le 21 novembre, la proposition de loi “relative à l’adaptation de la politique forestière et des milieux forestiers face au changement climatique” est le résultat d’un compromis plutôt large de député·es de droite et de gauche d’un peu partout en France. Sa finalisation intervient après le rapport de la mission parlementaire du même nom, présidée par Catherine Couturier (LFI). La publication d’un énième rapport alarmant sur les forêts françaises a suivi : celui de l’Académie des Sciences du 7 juin 2023, qui conclut à une diminution de 50 % de la capacité de nos forêts à capter le carbone en 15 ans et appelle à la mise en œuvre “immédiate d’un plan d’adaptation des forêts françaises au changement climatique”, au vu de l’accélération des dépérissements massifs. Puis le 20 janvier, une tribune de cinq chercheurs spécialistes de la forêt, parue dans Le Monde, alerte à son tour : la forêt ne peut pas être un infini puits de carbone…
Perte de couvert forestier en Bourgogne-Franche-Comté
En 2010, la Bourgogne-Franche-Comté avait 835 000 hectares de forêts naturelles, s’étendant sur 37 % de sa superficie terrestre. De 2001 à 2022, la région a perdu 115 000 hectares de couverture arborée, ce qui équivaut à une diminution de 6,4 % de la couverture arborée depuis 2000.
(Source : Global Forest Watch).
La conclusion de l’exposé des motifs des 13 articles de la proposition de loi Couturier est donc directe : “Il s’agit avant tout de maintenir la vie sur Terre. Jamais une cause n’a porté une telle urgence dans l’Histoire de l’humanité.” Urgence en effet : entre février 2023 et janvier 2024, la température mondiale de l’air à la surface du globe a été de 1,52 °C supérieure à la période de référence 1850-1900. Nous n’avons jamais enregistré un mois de décembre plus chaud qu’en 2023, selon les données de l’observatoire européen Copernicus.
Qui a signé la proposition de loi forêt ?
- pour la France insoumise (LFI) : Catherine Couturier (Creuse, auteure de la proposition, a auparavant présidé la mission d’information de l’Assemblée nationale sur “l’adaptation au changement climatique de la politique forestière et la restauration des milieux forestiers”. Cette mission a rendu un rapport le 2 mai 2023, qui a servi de base à la proposition de loi, Gabriel Amard (Rhône), Sylvain Carrière (Hérault), Sylvie Ferrer (Hautes-Pyrénées), Clémence Guetté (Val-de-Marne), Manon Meunier (Haute-Vienne) et Loïc Prud’Homme (Gironde),
- pour le groupe EELV (ECO) : Lisa Belluco (Vienne), Marie Pochon (Drôme) et Nicolas Thierry (Gironde),
- pour le groupe socialiste (SOC) : Stéphane Delautrette (Haute-Vienne) et Chantal Jourdan (Orne),
- pour les centristes du groupe LIOT : Jean-Louis Bricout (Aisne),
- pour ceux du groupe DEM : Hubert Ott (Haut-Rhin)
- pour le groupe Horizons (HOR) : Anne-Cécile Violland (Haute-Savoie).
Le climat et la biodiversité d’abord
Il faut absolument réduire la quantité de carbone dans l’atmosphère. L’article 1er de la proposition de loi fait donc logiquement “du maintien ou de l’augmentation du stockage de carbone dans les bois et forêts, ainsi que de la préservation des milieux forestiers et de leurs fonctions écosystémiques un principe régissant la politique forestière de l’État”.
Il faut absolument enrayer la chute dramatique de la biodiversité, dont 80 % dans les milieux terrestres se trouve en forêt. La France est le 6ème pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées. Si l’ONF a depuis plusieurs années abandonné l’usage du Glyphosate, la forêt privée est loin d’avoir laissé de côté la chimie… L’article 2 favorise la promotion de la sylviculture irrégulière. Elle devient un principe régissant la politique forestière de l’État. Pour l’appliquer, il fixe un objectif de 30 % de forêts gérées en irrégulier à l’échelle nationale pour 2030, 70 % pour 2050 (la mise en œuvre est déclinée par les commissions régionales de la forêt et du bois). Cet objectif peut paraître modeste au regard de la crise écologique dont la forêt est victime. L’examen du texte en commission puis en séance est l’occasion d’en augmenter l’ambition.
L’article 3 est sans doute celui qui sera le plus scruté. Les signataires de la proposition de loi ont d’ailleurs souligné qu’il avait été rédigé “dans un esprit transpartisan”. Il définit et encadre les coupes rases en autorisant uniquement certains types de coupes et définit deux seuils : interdiction au‑delà de deux hectares pour les forêts de feuillus ou mélangées, et au‑delà de quatre hectares “pour les monocultures de résineux faites après l’entrée en vigueur de la loi”.
Une proposition de définition de la coupe rase
“Une coupe rase est définie comme une coupe unique de régénération artificielle, de régénération naturelle sexuée ou végétative, consistant à abattre en une seule opération plus de 80 % des arbres d’un peuplement ou d’un périmètre” (extrait de la proposition de loi Couturier : proposition d’ajout d’un Article. L. 124‑5‑1 dans le Code forestier).
Actuellement, les coupes de bois sont soumises à des autorisations dont les seuils qui varient en fonction des régions et sont définis par arrêtés préfectoraux. En Bourgogne-Franche-Comté par exemple, les coupes sont soumises à autorisation administrative :
– quand la coupe d’un seul tenant supérieure ou égale à 4 hectares enlève plus de la moitié du volume de la futaie
– pour les propriétés soumise à obligation d’un Plan Simple de Gestion (obligatoire au dessus de 20 hectares)) et qui n’en est pas doté ou dont celui-ci est arrivé à expiration.
Les seuls arbres concernés sont ceux de futaie (les grands arbres adultes issus de semis), contrairement à la proposition de loi Couturier qui prend en compte tous les arbres.
Un régime unique pour toute la France, ce n’est pas la seule chose qui est simplifiée. Il suffit de jeter un œil à la “synthèse” de la réglementation relative aux autorisations de coupes en forêt privée accessible sur le site de la direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DRAAF) !
Parmi les militant·es écologistes, ce compromis passe quelquefois mal. Une forêt commence pour la loi à un demi-hectare, puisque la France a adopté la définition de la FAO. Pourquoi ne pas interdire les coupes au delà d’un demi-hectare seulement ? Et pourquoi ce qui ressemble à un aménagement pour les monocultures de résineux ? Peut-être parce qu’en-dessous d’une certaine superficie, les engins forestiers, qui atteignent des tailles déraisonnables ces dernières années, ne peuvent plus être rentabilisés et qu’un arrêt trop brusque des méthodes industrielles impacterait aussi les salarié·es des entreprises qui les pratiquent.
Qu’est-ce qu’une forêt ?
Selon la définition officielle de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à laquelle se réfère la France (il n’y a pas de définition commune à l’Union européenne), une forêt est caractérisée par cinq spécificités :
- une superficie minimum de 0,5 hectare (5 000 m2).
- la présence d’arbres pouvant atteindre une hauteur supérieure à 5 mètres à maturité in situ,
- un boisement de plus de 10 % du territoire considéré (vu du dessus),
- une largeur moyenne d’au moins 20 mètres,
- une utilisation qui n’est ni agricole, ni urbaine.
De plus, “en deçà de ces quatre hectares, toute coupe rase doit être autorisée spécifiquement. L’article restreint les coupes rases en zone Natura 2000 ainsi que dans les Parcs Naturels Régionaux. Enfin, il définit les conditions dans lesquelles une coupe dite “sanitaire” peut être effectuée”. Ces deux hectares rappellent un autre compromis, celui qui avait été obtenu à l’issue des travaux de la Commission parlementaire citoyenne initiée par Mathilde Panot (LFI) sous la précédente législature. Une proposition de loi qui ne visait que les coupes rases avait alors été déposée, sans jamais aboutir.
Le retour du public dans la gestion forestière
Le texte que devra prochainement examiner la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale réforme plus largement le Code Forestier : il fixe le niveau de diversification des essences sur une parcelle après une coupe ; il interdit le dessouchage (art.5), l’agrainage et l’affouragement en forêts durant les périodes d’ouverture de la chasse ; il redistribue les responsabilités dans l’élaboration des plans de chasse et les schémas départementaux de gestion cynégétique (SDGC) en y incluant les associations environnementales agréées (art. 6 et 7), des revendications de longue date des collectifs écologistes, et octroie une place centrale au service public.
Plus d’intervention publique aussi dans le domaine de la propriété forestière. L’extension des forêts communales, dont la gestion est au plus proche des habitantes, est facilitée. Pour augmenter la part de la forêt publique, l’article 12 “uniformise et généralise” leur droit de préemption. Elle pourront l’exercer “en cas de vente de propriété classée au cadastre en nature de bois et forêts, sans critère par rapport au vendeur, sans limite de surface et sans obligation de contiguïté avec une forêt communale relevant du régime forestier.”
Vue l’étendue des massifs forestiers de l’Hexagone (le tiers du territoire et 75 % en propriété privée) pour veiller à l’application de la loi, même en rendant aux services publics toute la considération et les moyens dont ils devraient bénéficier (plutôt que les lâcher en pâture aux lobbies de industrialisation du vivant), notre pays ne disposerait jamais d’assez de fonctionnaires pour tout contrôler. Ce n’est d’ailleurs ni nécessaire, ni souhaitable. Il suffit de rendre accessibles à tous les documents de gestion forestière. Le plus souvent en effet, c’est seulement parce qu’il y a eu coupe rase que les habitant·es se rendent compte qu’elles sont soumises à autorisation et, dans les propriétés privées de plus de 20 hectares, à des “plans simples de gestion”. Rendre ces documents administratif transparents, comme le demande la pétition du collectif SOS Forêt France, permettrait aux collectifs de défense de la forêt et aux riverains de les contester devant les tribunaux avant les travaux. C’est ce que propose également le texte, qui associe les citoyen·nes à la politique forestière en intégrant les associations agréées de défense de l’environnement dans les conseils d’administration du CNPF et CRPF. Il corrige au passage une absurdité : l’Office National de la Biodiversité en est aujourd’hui absent.
Enfin, les activités de gestion et d’exploitation forestière, dont la priorité est la préservation des écosystèmes, doivent être séparées de la récolte et de la commercialisation. C’est aujourd’hui le cas pour les gestionnaires forestiers indépendants, mais pas pour les coopératives industrielles, qui ont largement profité ces dernières années de cette inégalité pour gagner le contrôle de la gestion de territoires immenses. Cette inégalité est supprimée.
Les paysages forestiers dévastés que nous traversons de plus en plus souvent attestent de l’inefficacité des encouragements sur fonds publics à renoncer volontairement aux pratiques industrielles, polluantes, destructrices des écosystèmes forestiers. Quoiqu’en disent les industriels, la forêt peut rapporter énormément. En témoignent les injonctions de la filière qui demande au ministre Béchu que les chantiers forestiers puissent se dérouler sans que des agents de l’Office français de la Biodiversité (OFB) aient l’outrecuidance de vouloir faire contrôler la bonne application de la loi sur la préservation des espèces. En toute impunité, donc. Il faut fournir, vite. Et les annonces de sortie des énergies fossiles pourraient ne pas réduire la cadence. En témoignent les projets d’usines destinées à fournir en bois énergie. La biomasse forestière semble une ressource précieuse à beaucoup trop de monde pour être préservée “sur la base du volontariat”.
Aux citoyens et collectifs à présent de se saisir de cette proposition. En voici le texte complet :