Des poulets industriels dans un parc naturel ?

Depuis quelques semaines, on voit fleurir des articles qui vantent l’action du Parc naturel régional du Morvan, lequel a incité une dizaine d’agriculteurs de son territoire à diversifier leurs activités en élevant des porcs en plein air. C’est bien. Mais pendant ce temps, l’élevage industriel gagne cette région, comme il a gagné le reste du pays. Plus de huit poulets sur dix sont désormais produits dans des élevages concentrationnaires. Dernière horreur annoncée  : le doublement d’un élevage industriel à Saint-Péreuse, dans la Nièvre.

Saint-Péreuse, 209 habitants, son bocage morvandiau, son château de Besne …et à un kilomètre, ses poulets industriels. Déjà 39 000 et bientôt, si la mobilisation ne les fait pas renoncer, les «  entrepreneurs du vivant  » (comme dirait le ministre de l’Agriculture) de cette commune construiront un deuxième hangar de 1 800 mètres carrés pour doubler leur production. Prenez un mètre carré, et placez-y 21 volailles. Chaque poulet aura moins d’espace que la surface d’une feuille A4, avec quelques conséquences immédiates  : figurez-vous que les volailles mangent et donc, défèquent. Celles-là vont donc vivre dans une atmosphère baignée d’ammoniac et marcher toute leur vie dans leurs déjections, puisque le hangar ne sera nettoyé qu’au moment de l’abattage. Qui a un potager sait très bien que le fumier des volailles est un bon engrais, pourvu qu’il soit répandu en petite quantité. Sinon, ça brûle tout. Même la peau. Bon appétit.

Qu’on ne se méprenne pas. Il ne s’agit pas ici de prôner le véganisme immédiat. Le fait est que les humains dans leur immense majorité, comme beaucoup d’animaux, mangent d’autres animaux. L’élevage existe depuis dix mille ans. Il est indissociable de notre agriculture. Pas de fumier, pas de légumes, à moins d’utiliser des intrants chimiques, surtout sur des terres pauvres comme celles du Morvan, et nous savons ce que la chimie agricole a fait à la planète  : elle a temporairement amélioré les rendements, mais surtout détruit la biodiversité indispensable à notre survie. Même si on n’aime pas les insectes, on a besoin d’eux. Non. Ce dont il est question ici, c’est de santé publique, d’emploi, de ruralité, de culture.

Après l’Yonne voisine, l’élevage de volailles de la Nièvre est en train d’être avalé par les industriels. Brèves, Tintury, Cercy-la-Tour, et maintenant le hangar de Saint-Péreuse, au joli nom de GAEC des Jonquilles… Mais il faut bien nourrir les gens, se défendent-ils. Nourrir ? Ce qu’ils appellent poulet, ce sont en réalité des poussins gonflés jusqu’à atteindre le poids requis pour la grande distribution et l’industrie agroalimentaire en 35 jours.

À ce rythme de croissance, il est impossible pour une volaille de se développer de façon saine. Dans l’épais dossier déposé en préfecture, le GAEC des Jonquilles estime la mortalité à 4  %. Tous les mois, ce sont 1 500 animaux par hangar qui ne supporteront pas un tel rythme, souvent trop fragiles pour aller jusqu’à la mangeoire ou atteints de problèmes cardiaques ou pulmonaires. Un animal malade n’est pas de la nourriture saine. Un poulet élevé convenablement est habituellement abattu à quatre mois minimum.

L’élevage industriel tue l’économie et les emplois ruraux

L’argument principal de l’industrie agroalimentaire est le prix abordable. Comme on l’a vu, ce n’est pas parce qu’il y a écrit «  poulet  » sur les étiquettes qu’un animal de batterie et un animal élevé en plein air, avec une alimentation de qualité et de l’espace pour courir sont comparables. Comparer les prix n’a donc aucun sens. La question qu’il faudrait plutôt se poser est  : pourquoi, dans l’un des pays les plus riches du monde, des millions de personnes ne peuvent-elles avoir accès à une nourriture de qualité  ? Une partie de la réponse se situe précisément dans le système industriel. Un élevage concentrationnaire comme celui de Saint-Péreuse, c’est l’équivalent en termes d’emploi de 50 fermes normales, où le paysan élève 1 500 volailles, dont une partie pour les œufs, et où il produit lui-même la nourriture.

Marie, Maître Coq, Le Gaulois, Poulet Toque, Doux, Loué… Toutes ces marques appartiennent au groupe LDC. Rien que Le Gaulois et Maître Coq représentent 40  % de la volaille vendue en France. Mais LDC fournit aussi des marques distributeurs et la restauration, pas que rapide. Il y a plus de 6000 éleveurs sous contrat qui produisent chaque année pas loin de 600 millions de volailles. Le chiffre d’affaires du groupe dépasse les 5 milliards d’euros et son bénéfice net a augmenté en 2021-2022 de 17,3  % par rapport à l’exercice précédent (les exercices du groupe vont de mars à février), pour s’établir à 165,1 millions d’euros.

Dans une usine comme celles du groupe LDC, entre une et trois personnes y travaillent, pour un revenu pas vraiment exceptionnel et sans aucune liberté  : tout, depuis la nourriture des bêtes jusqu’à la date d’abattage, est décidé par le groupe et tout cela en bénéficiant de mêmes aides de l’Europe pour l’agriculture que les fermes à taille humaine, mais aussi d’indemnisations en cas d’épidémie, alors que précisément, c’est la concentration des animaux qui en favorise la propagation. Le seul dispositif d’indemnisation pour la grippe aviaire s’élève à 469 millions d’euros, sur le budget de l’État, donc sur le porte-monnaie des citoyen·nes. Pour prévenir les maladies, dans un tel système, il n’y a pas d’autre choix que multiplier les vaccins et les traitements aux antibiotiques, que les consommateurs absorberont avec le poulet ou qui se retrouveront dans le circuit de l’eau, et ce bien que les médecins alertent depuis des années sur l’inefficacité croissante des antibiotiques en raison de la surconsommation.

Ce qu’on ne paie pas au supermarché, on le paie par les impôts et les cotisations  : une usine à poulets qui se construit, ce sont des dizaines de jeunes qui ne s’installent pas, donc du chômage en plus, alors que la moitié des agriculteurs va partir à la retraite dans les prochaines années  ; ce sont des élevages existants qui ne peuvent s’en sortir, des campagnes qui se vident, d’autres entreprises et services publics qui sont entraînés dans la chute, donc des personnes supplémentaires obligées de recourir aux aides sociales. Moins de monde, c’est moins de clients pour les boulangeries, les cafés, les épiceries, les écoles, les hôpitaux, alors que, précisément, la malbouffe détériore la santé de la population…

Écart des précipitations de février 2023 à l’échelle départementale (période de référence  : 1991-2020). Sources  : Météociel, Météo France,
©Étienne FargetMC

Et puis il y a l’eau. Alors que nous entrons dans une ère de sécheresse à répétitions, que nous sortons d’un hiver au cours duquel les réserves n’auront pas été reconstituées, alors que des restrictions sont déjà en cours dans le sud de la France, que tout le monde est conscient qu’elles vont s’étendre à tout le territoire à moins d’un déluge au mois de mars, c’est sur le réseau public que cette usine va s’approvisionner pour abreuver les animaux, pour les opérations de nettoyage, mais aussi pour alimenter les brumisateurs  : les volailles sont très sensibles à la chaleur…

Fin février 2023, l’écart des précipitations dans la Nièvre par rapport à la période de référence 1991-2020 était de 77  %  !

Comment agir  ?

À Saint-Péreuse, la résistance contre l’installation du doublement de l’usine à poulets s’organise. Une pétition adressée au préfet de la Nièvre a été mise en ligne. Si vous pensez qu’il faut mettre fin à l’élevage industriel, signez  ! Le préfet, nommé par Emmanuel Macron, ne sera sûrement pas de votre avis, puisque le Président de la République mène depuis son élection une politique agricole tout à l’avantage de l’agroindustrie, mais au moins, les habitants de Saint-Péreuse se sentirons soutenus et la notoriété de leur combat peut amener des gens à y réfléchir à deux fois avant d’acheter du poulet industriel. Et puis quelquefois, ça marche  ! Le fait que le projet se situe dans un parc naturel régional fera peut-être réagir quelques élus… Si vous êtes habitant de Saint-Péreuse, Chougny, Dommartin, Dun-sur-Grandry ou Maux, vous pouvez interpeller directement votre conseil municipal  : ces communes étant impactées par le projet, leur avis est requis pendant le temps de l’enquête publique. C’est aussi le cas de la communauté de communes Morvan, Sommets et Grands Lacs.

Si vous voulez manifester votre désapprobation plus officiellement, vous pouvez participer à l’enquête publique. Le projet du GAEC des Jonquilles y est en effet soumis parce que c’est une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE). La nomenclature en est disponible ici. Ces installations sont soumises à une réglementation particulière en raison des impacts qu’elle peuvent engendrer sur l’environnement comme la pollution de l’air, des sols, de l’eau…

L’enquête publique sur le GAEC des Jonquilles est ouverte jusqu’au samedi 11 mars 2023 à 12h00 (le dossier complet est disponible ici). Vous pouvez envoyer un courriel à l’adresse suivante  : enquete-publique-saint-pereuse@nievre.gouv.fr ou faire part directement de vos observations à la commissaire enquêtrice, qui sera encore présente en mairie de Saint-Péreuse, le 11 mars de 9h à 12h.

Vous pouvez enfin agir à plus long terme, tout en vous épargnant à l’avenir des signatures de pétitions, et des lectures d’abscons documents administratifs. Rien de plus simple  : votez pour des candidat·es dont les partis ont à leur programme la fin de l’élevage industriel  !