Déforestation importée : la Commission européenne tente de retarder l’interdiction

En trente ans, l’équivalent de la superficie de l’Union européenne, 420 millions d’hectares de forêts ont été rasés, à 90 % dans des zones tropicales où se trouvent les deux-tiers de la biodiversité forestière, à 90 % pour être transformés en terres agricoles  : les terres cultivées sont à l’origine de près de 50 % de la déforestation mondiale  ; le pâturage du bétail est responsable de 38,5 %. En 2013 déjà, une étude d’impact de la Commission européenne chiffrait à plus du tiers la responsabilité des pays européens dans la déforestation liée au commerce international de produits agricoles. Le soja, utilisé massivement pour nourrir les bovins et les volailles, représentait à lui seul 60  % de ces importations, l’huile de palme, qui a permis aux industriels de l’alimentation de remplacer le beurre et les huiles locales pour beaucoup moins cher, 12  %. Ces importations participent à un écocide et ruinent les paysans et les producteurs d’alimentation européens qui travaillent avec des produits locaux.

Dix ans après, la longue bataille menée par les ONG européennes et les paysans européens concurrencés par les importations pour stopper le massacre a abouti  : le Parlement européen a voté le 17 avril 2023 l’interdiction d’importation de ces produits. Concrètement, la mise sur le marché d’un produit importé doit être accompagnée des coordonnées de géolocalisation de toutes les terres cultivées pour le produire, de manière à prouver que les parcelles n’ont pas été déboisée après le 31 décembre 2020. En cas de non-respect, les contrevenants s’exposent à une amende de 4 % minimum du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise dans l’UE.

Pour que cette interdiction soit effective, il faut contrôler les importations. Le règlement publié le 9 juin prévoit donc que les contrôles soient accrus en fonction du risque de déforestation, avec trois catégories  : les pays à risques élevés, dont 9  % des opérateurs seraient contrôlés, les pays à risque standard (3  % de contrôles) et ceux à risque faible (1  % de contrôles).

Qui désigne la Commission européenne  ?
Le Conseil européen propose au Parlement européen un candidat à la présidence de la Commission. Ce dernier est ensuite élu par le Parlement. 
Le Conseil de l’UE, en accord avec le président élu, adopte une liste de candidats au poste de commissaire. Sauf opposition du Parlement européen (qui dispose d’un droit de veto), la Commission est nommée par le Conseil européen votant à la majorité qualifiée.
Cette procédure est définie à l’article 17 du Traité de l’Union européenne.

Avant le vote du règlement, le Canada avait fait part de son “inquiétude”, estimant qu’il engendrerait “des barrières commerciales significatives”. Le règlement publié, plusieurs pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine se sont joints aux critiques, présentant l’argument classique des organisations réfractaires aux mesures écologiques  : trop de règles, trop compliquées.

Selon le Financial Times, relayé par Courrier International. Il semble que la Commission s’apprête à céder aux pays exportateurs en reportant la mise en œuvre du classement des pays en fonction de leur risque, qui devait entrer en vigueur en décembre prochain. Le même niveau de “risque standard” serait attribué à tous les pays, ce qui vide le règlement de sa substance, puisque le but est d’agir en contrôlant davantage les importations des pays qui déboisent le plus.

En laissant entrer sur notre territoire de cargos remplis de soja cultivé sur des terres forestières, nous participons à l’aggravation du dérèglement climatique. Il est possible cependant d’obliger la Commission européenne à résister aux industriels de l’agroalimentaire et à renforcer les contrôles. Une nouvelle commission sera nommée à l’issue des élections de juin 2024 et le Parlement dispose d’un droit de veto…