Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier Premier ministre, mais c’est le RN qui l’a choisi. Alors que la coalition de gauche, le Nouveau Front populaire, a gagné les élections législatives, c’est un membre du parti arrivé quatrième qui va gouverner. Pourquoi ? Il convient à l’extrême-droite, il convient à Bruxelles et depuis longtemps, il ne s’encombre pas de principes démocratiques.
Comment n’y a-t-on pas songé ? L’enfumage par les médias qui blablataient depuis 50 jours sur une kyrielle de noms pour le poste de Premier ministre, dont certains carrément farfelus (Ségolène Royal, franchement…) a empêché de le voir venir. Pourtant, qui plus que Michel Barnier pouvait incarner le mépris absolu de la démocratie, l’allégeance à l’extrême-droite et la main-mise des marchés financiers sur le gouvernement de la France ?
Alors que son parti ne compte qu’une quarantaine d’élus à l’Assemblée nationale (7 % des députés) et que sa très longue carrière politique (il était déjà collaborateur ministériel sous Pompidou !) ne laisse aucun doute sur le fait qu’il se situe à l’opposé du choix exprimé par les Français·es lors des législatives anticipées provoquées par Emmanuel Macron, Michel Barnier est repeint par de nombreux médias, dont Le Monde, comme “un homme de consensus”.
Si “consensus” il y a, il se situe au sein d’une petite minorité totalement coupée de la réalité de la “France d’en bas”, expression de Raffarin plutôt méprisante reprise sur le perron de Matignon par Michel Barnier, qui s’est déclaré à de nombreuses reprises favorable à la retraite à 65 ans. Le peuple français est contre la réforme imposée par 49.3 à plus de 80 % et le Premier ministre est censé être au service du peuple, qui n’est pas “en bas” mais est souverain, du moins selon la Constitution.
Le commis de Bruxelles
Mais la Constitution, comme Emmanuel Macron, Michel Barnier ne s’en préoccupe guère. M. Barnier n’en est pas d’ailleurs pas à son coup d’essai quand il s’agit de faire fi du souhait des Français·es. Déjà, après le vote majoritaire de 2005 contre la constitution européenne, il a fait partie de ceux qui, en 2008, ont imposé ce texte rebaptisé “traité de Lisbonne”. Il y a quinze ans, Barnier pensait déjà que lorsqu’on dit non, cela veut dire oui.
Celui dont les médias de masse rappellent à l’envi les origines savoyardes (regardez comment il est ancré dans le territoire…) est en effet un fervent partisan de l’ultra-libéralisme, qu’il a appliqué avec zèle à Bruxelles. Il a été nommé pour la première fois commissaire européen il y a 25 ans.
Sur l’économie, il est compliqué d’être plus à droite. Celui qui a été ministre d’Édouard Balladur, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy s’est aussi prononcé pour l’allongement de la durée hebdomadaire du temps de travail et le remplacement des aides sociale par une allocation unique conditionnée à la disponibilité du bénéficiaire pour “effectuer des activités utiles à la collectivité ou en entreprise”. Pourquoi s’encombrer de salariés quand on peut disposer d’une main d’œuvre contrainte et payée deux ou trois fois moins cher ?
Travailler plus… ça vous rappelle quelqu’un ?
Les médias ont relayé comme si tout était normal le fait que Nicolas Sarkozy soit reçu à l’Élysée et donne son avis sur le choix d’un·e Premier·e ministre alors qu’il a été condamné à un an de prison (dont 6 mois ferme) dans l’affaire Bygmalion, à 3 ans de prison (dont un an ferme) dans l’affaire Bismuth, que ses comptes de campagne ont été invalidés, qu’il est mis en examen dans l’affaire Takieddine et qu’un procès est à venir pour le financement libyen.
Et c’est bien l’avis du braqueur de la République qui a été retenu par Emmanuel Macron. Souvenez-vous : en sortant de son rendez-vous à l’Élysée, Nicolas Sarkozy a dit qu’il fallait choisir un Premier ministre de droite…
Pourtant, être ultra-libéral, ami de repris de justice et des médias, cela suffit peut-être pour glaner quelques responsabilités mais pas pour résider à Matignon. Il faut élargir son champ d’action. C’est ce qu’a compris Michel Barnier quand il s’est présenté en 2022 à la primaire de son parti, en multipliant les déclarations destinées à plaire aux électeurs de l’extrême-droite.
Adoubé par l’extrême-droite
Cela ne lui a d’ailleurs sans doute pas coûté beaucoup d’efforts. Déjà, en 1981, il votait contre la décriminalisation de l’homosexualité et en 1982 contre le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale. En 2022, dans son programme pour la présidentielle, il proposait de “stopper immédiatement les régularisations, limiter rigoureusement le regroupement familial, réduire l’accueil des étudiants étrangers et l’exécution systématique de la double peine”.
On peine à faire la différence avec le programme du RN. Les porte-paroles de ce parti ne s’y sont d’ailleurs pas trompé. Alors qu’en réponse à la possible nomination de Bernard Cazeneuve ou de Xavier Bertrand, ils annonçaient être déterminés à voter la censure du gouvernement, le ton a changé à l’évocation de Michel Barnier qui “respecte les électeurs du RN”, selon Mme Le Pen. Nous y voilà : pour le pouvoir, il est plus important de plaire à la minorité raciste qu’à la majorité humaniste. La jonction entre l’extrême-centre et l’extrême-droite est en passe d’être achevée.
Il faut se souvenir des ravages que cela a pu provoquer, comme le rappelait encore cet été l’historien Johann Chapoutot : “Sur le long terme de l’histoire contemporaine, l’extrême-centre s’allie toujours avec l’extrême-droite. Ce sont les libéraux qui mettent les fascistes au pouvoir en 1922 en Italie. Ce sont les libéraux autoritaires qui mettent les nazis au pouvoir en 1933 en Allemagne […]. J’ai repris plein de sources gouvernementales, discursives, juridiques, etc. et les parallèles entre ce qui se passait en 1932 et ce qui se passe actuellement sont beaucoup plus nombreux que ce que je pensais”.
Il faut et réagir, et vite. Samedi, partout en France, des manifestations sont prévues, à Nevers aussi1. Nul doute qu’avec la nomination de Michel Barnier à Matignon, les manifestant·es ne se contenteront plus de demander à Emmanuel Macron de respecter le vote des Français·es et qu’ils en profiteront pour soutenir la procédure de destitution : la pétition lancée il y a quelques jours a déjà engrangé 250 000 signatures !
- 1. Ce sera sans le PS. Au niveau national, ce parti a clairement dit qu’il ne se joindrait pas aux manifestations et dans la Nièvre, ses responsables n’ont pas répondu aux sollicitations des autres membres du Nouveau Front populaire pour appeler à manifester contre le coup de force de Macron. Il est vrai qu’il y a quelque jours encore, une partie des “socialistes” se seraient bien accommodés de la nomination de Bernard Cazeneuve, opposant farouche à la Nupes comme au NFP… ↩︎