Pour notre survie, l’industrie forestière doit rester confinée

Ce 21 mars devait être la Journée internationale des forêts. Comme elle coïncide avec le début du printemps, de nombreuses manifestations en plein air étaient prévues partout en France. Des promenades où l’on aurait croisé quelques jonquilles dans les sous-bois, appris à reconnaître un charme d’un hêtre, reconnu le chant d’un oiseau, admiré des démonstrations de savoirs-faire forestiers, respiré… et vu les dégâts de l’industrialisation mortifère de la forêt. Il y aurait eu des manifestation contre les coupes rases pour que cette journée ne devienne pas celle du souvenir de la forêt. Tout cela est évidemment annulé. Nous n’irons pas au bois cette année… Plus tard, il faudra tirer les conséquences de ce printemps supprimé  ; pour l’heure, entre nos quatre murs, nous pouvons pressentir une vie sans la forêt, cet exact contraire d’un lieu confiné.

Les activités humaines en forêt se sont en grande partie interrompues depuis quelques jours en France en raison de la crise sanitaire. Le confinement oblige les habitants des zones forestières à renoncer à leurs ballades et a conduit par exemple l’ONF à réduire ses activités aux missions prioritaires de surveillance et de protection. Le défilé incessant des grumiers chargés de chênes pour la Chine a ralenti à la mesure du trafic marchand mondial. Pause sur les coupes à blanc, même si le lobby de l’industrie du bois veut nous faire croire que les tous les arbres coupés sont indispensables à la survie de la Nation. À en croire son martial communiqué, une “mobilisation générale” s’imposerait “pour relancer l’activité de ce secteur vital”. Pourquoi  ? Le bois finirait soit en palettes (indispensables à la livraison du matériel médical, évidemment), soit en papier (hygiénique, par exemple…), soit en matériaux de construction (et quand le BTP va…).

C’est oublier un peu vite qu’une part considérable des arbres abattus en France sont destinés à être exportés. Cette activité-là n’est pas indispensable à la survie immédiate de la Nation. Elle concourt même à terme sa perte quand elle contribue à l’expansion de marchés mondiaux ruineux pour les entreprises locales et globalement désastreux pour le climat au vu des transports qu’ils occasionnent et du productivisme qui les anime.

Restent les palettes, le papier, le BTP. On ne manque sûrement pas d’entreprises à l’arrêt prêtes à fournir leur surplus de palettes, au besoin. Nous ne sommes donc pas obligés de couper autant d’arbres qu’habituellement et nous pourrions même réfléchir à la pertinence de produire 50 millions de palettes par an, d’y consacrer 20  % du volume de sciage (1,6 million de mètres cubes), en partie pour l’exportation puisque la France est le deuxième fabricant européen. Le papier  ? Pour les soins et pour l’hygiène, l’activité doit bien sûr être maintenue, mais puisqu’il faut la réduire globalement pour réduire les contacts et la propagation du virus, nul besoin d’imprimer ces millions de publicités qui nous incitent à rejoindre la foule des galeries marchandes pour y acheter des tonnes de marchandises souvent venues de trop loin, souvent jetables, emballées dans des cartons et transportées par palettes… Le BTP  ? Combien de bâtiments en cours de construction sont urgents, au point qu’on prenne le risque de contaminer massivement les ouvriers  ? Comme toute la production du pays, l’industrie du bois doit ralentir au moins autant que la sécurité de son personnel le nécessite et les travailleurs du secteur assurés que ce ralentissement ne les plongera pas dans le dénuement.

Pause sur les coupes à blanc, donc. On se pose et on décide  : allons-nous vraiment, quand nous serons sortis de cette épidémie, laisser remettre les abatteuses en route comme si de rien n’était  ? Allons-nous ignorer la responsabilité de la déforestation dans les désastres écologiques qui nous accablent, jusqu’à augmenter les risques d’épidémies en favorisant le contact entre des espèces sauvages hôtesses de virus et les humains  ? Ou bien allons-nous, collectivement, mettre fin aux aberrations économiques qui détruisent les poumons de la planète  ?

L’épidémie qui nous frappe oblige à discerner ce qui est vital, ce qui peut nous procurer une vie heureuse et ce qui est inutile, voire nuisible. Nous ne sommes pas obligés de continuer à débiter la forêt pour faire circuler du bois sur toute la planète et laisser la place là-bas à des cultures industrielles de soja ou de palmiers à huile, ici à des douglas ou des épicéas coupés à un rythme affolant, quand ils ne sont pas victimes eux aussi d’épidémies ou de ravageurs. Nous ne sommes pas obligés de préparer de nouveaux incendies en laissant redémarrer le déménagement perpétuel du monde qui augmentent le réchauffement climatique et disperse les virus.

Des mesures d’urgences

  • abandon de la privatisation de l’ONF accélérant la précarisation des travailleurs de la forêt  ;
  • accompagnement des travailleurs du secteur forestier privé, indépendants ou salariés, français ou travailleurs détachés présents en France au moment du déclenchement de l’épidémie  ;
  • évaluation des produits issus du bois réellement indispensables pendant le confinement et autorisation de l’activité forestière en conséquence  ;
  • allocation de crédits à la recherche pour évaluer les conséquences sanitaires de environnementales de la gestion forestière actuelle  ;
  • moratoire sur les pratiques forestières industrielles qui dégradent les milieux forestiers sur notre territoire en attendant une réforme générale de nos lois sur la forêt et la défense de ces mesures par la France au plan international, notamment par l’arrêt de l’importation de produits issus de la déforestation (biocarburants, notamment).

Crédits photo  : MAB


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